Sur les pas des Pinçon-Charlot : balade sociologique ou concrétisation de la ségrégation spatiale

   Inspirées par les travaux des Pinçon Charlot, nous avons décidé d’effectuer nous-mêmes leur célèbre promenade sociologique. Celle-ci consiste en plusieurs itinéraires dans la ville qui montrent particulièrement la ségrégation spatiale dans l’espace parisien. De tous ces itinéraires, nous avons privilégié dans un premier temps celui du triangle d’or, car il relie des avenues très connues et parlantes dans le cadre de notre sujet : l’avenue des Champs-Elysées, l’avenue Montaigne et l’avenue Georges V. 

  Nous nous sommes ensuite aventurées dans le très réputé 16ème arrondissement, qui abrite la villa Montmorency. Celle-ci nous intéressait particulièrement; constituant une véritable "forteresse bourgeoise", elle est inatteignable pour de simples passants. Tout au long de ces promenades, nous avons photographié -quand cela ne nous était pas interdit- les endroits qui nous ont paru révélateurs dans le cadre de notre étude.

LES CHAMPS ELYSÉES 

   Comme nous l'avait spécifié Monique Pinçon Charlot lors de l'interview, les Champs Elysées se popularisent, et nous avons eu l'occasion de le remarquer lors de la balade. La population fréquentant l'avenue est diverse: touristes, travailleurs de toutes classes sociales. Cette diversité se manifeste de plus en plus dans les commerces. En effet, si cette avenue était réputée pour ses magasins luxueux, on y trouve désormais des boutiques plus abordables comme H&M, Monoprix, voire reflétant la culture populaire actuelle, telle que la boutique du Paris Saint-Germain. On observe donc des boutiques "grand public" cotoyant les plus luxueuses enseignes, au fronton élegamment décoré, qui demeurent malgré ce phénomène de popularisation: Louis Vuitton ou Guerlain. La boutique de cette dernière a été jusqu'à s'adapter au changement de public ; on peut voir en haut de la façade une sculpture recherchée qui surmonte le nom de l'enseigne, écrit dans une topographie sophistiquée, des éléments datant sans doute de la création de la boutique. Cependant, sur la vitrine, la marque a aposé des autocollants sous forme de graffitis portant le nom de la marque, qui dénotent avec le luxe dégagé par le reste du bâtiment. 

L'AVENUE MONTAIGNE 

   Avant de tourner sur l'avenue Montaigne, nous nous sommes placées à l'angle des deux avenues -sur les conseils des Pinçon-Charlot- et avons observé la différence de fréquentation entre les deux rues. Ainsi l'avenue Montaigne est restée très bourgeoise; la popularisation des Champs Elysées ne l'a pas atteinte, les commerces étant uniquement des commerces de luxes. Nous pouvons d'ailleurs différencier le luxe des Champs Elysées et celui de l'avenue Montaigne par exemple avec les différentes boutiques de l'enseigne Louis Vuitton ; celle des Champs Elysées, beaucoup plus grande, beaucoup plus haute et avec de très grandes vitrines a pris une dimension touristique, tandis que celle de l'avenue Montaigne a une atmosphère beaucoup plus intimiste, loin des regards indiscrets.

  Nous nous sommes donc aventurées dans les différentes boutiques de luxe, afin d'observer les comportements du personnel dans leur accueil. Ces comportements ont en effet varié selon les boutiques. De par la manière dont nous étions vêtues, nous nous attendions à une forme de mépris de leur part, qui s'est révélé véridique dans plusieurs boutiques. En effet, certaines vendeuses nous lançaient des regards peu amènes et nous ont ignorées, alors qu'elles réservaient un accueil chaleureux aux autres clients. Nous avons pu observer d'autres différences de traitement, notamment par le personnel de sécurité qui ne contrôlait pas les sacs des clientes plus aisées. Même si ils acceptaient de nous faire essayer leurs produits, nos échanges avaient une dimension de "jeu de rôle", puisqu'ils ne nous considéraient pas comme des clientes potentielles, mais plutôt comme des jeunes filles venues s'extasier devant l'inaccessible -un vendeur nous a même proposé un catalogue pour qu'on puisse "rêver un peu"- et leur serviabilité poussée à l'extrême laissaient transparaitre une sorte de méfiance à notre égard. Cependant certaines boutiques se sont révélées assez chaleureuses, et les vendeurs sympathiques.

L'avenue Montaigne

LE QUARTIER DE LA VILLA MONTMORENCY

   Comme nous l'attendions, ce quartier du XVIème arrondissement regorge de boutiques spécifiques aux besoins des bourgeois tels que des antiquaires ou une laverie spécialisée dans les fourrures.  Nous avons également remarqué une différence marquante entre l'étroitesse des rues de nos villes de banlieue et la largeur des trottoirs de ces quartiers. Nous nous sommes rendues directement à l'entrée de la villa.

  Nous espérions pouvoir entrer prendre des photographies, bien que nous savions que ce lotissement presque comparable à une ville qui abrite quelques 116 foyers, est une propriété privée. Comme prévu, le gardien, qui nous a accordé un rapide entretien, a insisté sur son impossibilité à nous laisser entrer ou même prendre pour nous les clichés dont nous avions besoin. Lors de cette conversation, nous avons remarqué que cet ancien policier avait, avec les années, pris le parti des habitants de la villa et défendait leurs intérêts avec ferveur. En nous éloignant après cette courte entrevue, un jeune homme qui observait la scène de loin depuis quelques temps nous a alpagué, persuadé que nous étions venues pour la même raison que lui : apercevoir la célèbre Mylène Farmer, résidante de la villa -"Avouez les filles, arrêtez avec votre TPE, je sais que vous êtes venues voir Mylène !"-. Ce jeune homme restait posté avec son ami à l'entrée de cette "forteresse" et guettait les voitures qui en sortaient dans l'espoir de voir son idole. Le recul sur cette rencontre nous a permis de nous rendre compte que le comportement isolationniste de ces riches individus est parfois légitimé par le comportement des classes inférieures.

À droite, une rue du 16ème arrondissement, à gauche, le panneau qui accueille les arrivants à l'entrée de la villa Montmorency

ségrégation spatiale : du latin segregatio, qui signifie séparer mise à l'écart d'un groupe social d'un territoire, ou le fait qu'un territoire soit divisé de façon formelle, juridique ou non, entre plusieurs groupes sociaux